Location-gérance: la stratégie de Carrefour confortée par la justice
Carrefour va continuer à transférer des magasins en location-gérance après avoir gagné en justice vendredi contre la CFDT, pour qui cette stratégie s'apparente à un "plan social déguisé".
Vent debout contre un "modèle socialement dangereux", la fédération des services CFDT, qui avait attaqué le géant de la distribution en mars 2024, a annoncé qu'elle ferait appel.
Le syndicat, qui réclamait 23 millions d'euros d'indemnisation pour les salariés, selon lui lésés, et l'arrêt des transferts en location-gérance, a été débouté vendredi de l'ensemble de ses demandes, selon le jugement consulté par l'AFP.
D'après le tribunal judiciaire d'Evry, duquel dépend le siège de Carrefour à Massy (Essonne), la CFDT n'a pas démontré "de manière suffisamment probante l'existence d'un abus de droit à la liberté d'entreprendre du groupe Carrefour".
"Nous contestons cette appréciation des faits", a répondu le syndicat dans un communiqué.
"Bien évidemment, on aurait préféré gagner, mais ce n'est qu'une première instance", a déclaré à l'AFP Erwanig Le Roux, délégué CFDT du groupe Carrefour.
- "Risques psychosociaux" -
Depuis l'arrivée à sa tête d'Alexandre Bompard, en 2017, Carrefour fait évoluer son modèle vers de plus en plus de magasins en franchise et location-gérance - variante de la franchise où le distributeur reste propriétaire du fonds de commerce.
Le groupe peut ainsi conserver sa part de marché commerciale et sortir de ses comptes des magasins déficitaires, tout en léguant certains coûts, comme les salaires, à un commerçant indépendant.
Les salariés concernés gardent eux leur tenue aux couleurs de Carrefour, mais perdent certains avantages sociaux, passé un délai de 15 mois durant lequel peut être négocié un accord de substitution.
Depuis 2018, 344 supermarchés et hypermarchés sont ainsi passés en location-gérance, concernant plus de 27.000 salariés, selon la CFDT.
De son côté, le groupe Carrefour fait valoir que ce modèle a permis de sauver des magasins et des emplois dans un contexte fortement concurrentiel, comme l'avait dit en mai Alexandre Bompard.
Dans son jugement, le tribunal a souligné "l'existence de négociations qui ont précédé puis accompagné ces passages en location-gérance et en franchise".
Il a également estimé que le lien, dénoncé par la CFDT, entre ces changements et "la dégradation de conditions de travail ou le développement de risques psychosociaux", n'était pas démontré "de manière circonstanciée et objective".
- "Souffrance" -
"Les entreprises en location-gérance et en franchise présentent une dépendance économique manifeste à l'égard du groupe Carrefour", a redit la CFDT dans son communiqué.
"Les conditions de travail y sont fortement dégradées, comme en atteste la mise en demeure toute récente de l'inspection du travail visant le magasin d'Etampes" (Essonne), a-t-elle insisté.
De son côté, Carrefour a salué une décision judiciaire confirmant "la légalité du recours à la location-gérance et à la franchise, aussi bien dans son principe que dans ses modalités".
"Les passages en location-gérance et en franchise pourront se poursuivre en 2026", s'est félicité le groupe.
Cette année, 15 hypermarchés et 24 supermarchés sont passés en location-gérance, a rappelé Erwanig Le Roux, anticipant un "périmètre" similaire pour l'an prochain.
La "souffrance" toujours rapportée par des salariés passés sous ce modèle "nécessite qu'on continue le combat", a-t-il insisté.
Si le jugement a de quoi soulager Carrefour, le litige avec la CFDT n'est pas son seul souci.
L'Association des franchisés Carrefour (AFC), qui dit représenter 260 magasins, l'a assigné fin 2023 devant le tribunal de commerce de Rennes, dénonçant une relation commerciale déséquilibrée. Avec le soutien du ministère de l'Economie, qui a préconisé d'infliger à Carrefour une amende de 200 millions d'euros.
Pour rassurer les marchés sur la stabilité de son actionnariat, le groupe vient d'annoncer l'entrée à son capital, à hauteur de 4%, de la famille Saadé, propriétaire de l'armateur marseillais CMA CGM et devenue son deuxième actionnaire.
A.Martin--JdB