

Inquiétudes sur l'avenir des manuels scolaires en Ile-de-France
Ecrivains, éditeurs et nombre d'enseignants redoutent une disparition progressive des manuels scolaires en Ile-de-France au profit de cours numériques agrégés sur une plateforme unique, une accusation rejetée par la région dirigée par Valérie Pécresse.
Plus de 500 signataires s'alarment dans une tribune publiée mardi par Le Monde d'un remplacement des manuels scolaires en format papier ou numérique par des cours en ligne accessibles sur une plateforme unique, Pearltrees.
C'est l'école "du scroll", "un puzzle éclaté où chaque élève est livré à lui-même", argumente la pétition, décriant l'absence de consultation des enseignants, parents et élèves.
"Nous ne sommes ni nostalgiques, ni technophobes. Mais nous affirmons que l'éradication du manuel scolaire comme repère partagé est une erreur", précisent les signataires, parmi lesquels les écrivains Aurélie Valognes et Sorj Chalandon ou l'animateur Stéphane Bern.
Leur mobilisation fait suite à l'annonce par la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse (LR) la semaine dernière d'un doublement du nombre de manuels numériques dit "libres", conçus par des responsables académiques franciliens.
Ils sont désormais 50 à être accessibles gratuitement via Pearltrees.
Mme Pécresse avait affirmé, lors de sa conférence de presse de rentrée, que "deux tiers des enseignants" étaient "aujourd'hui utilisateurs de manuels libres".
"Trois-quarts des manuels offerts par la région ne sont pas ouverts par les élèves", avait-elle aussi fait valoir.
Elle a rappelé que le choix avait été donné en 2019 aux établissements de garder le papier, ou de passer au "tout numérique", à la faveur d'un changement des programmes qui impliquait l'achat de nouveaux manuels. Les moitié des établissements avaient alors choisi de garder des manuels scolaires papier - tout en ayant accès aux manuels libres sur Pearltrees.
"Nous ne sommes pas dans la démarche d'aller vers le tout numérique", assure à l'AFP le vice-président de la région en charge des lycées, James Chéron.
- Les élèves partagés -
Mais une fois le choix du numérique acté, plus de retour en arrière possible pour les établissements avant le prochain renouvellement des programmes.
En outre, pour cette nouvelle année scolaire, même les lycées franciliens qui n'ont pas fait le choix du tout numérique n'ont pas reçu de dotation de la région pour acheter de nouveaux manuels.
"Seuls les manuels numériques seront financés et encore de manière très imparfaite", déplore Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, premier syndicat du secondaire.
Le groupe d'opposition communiste et écologiste d'Ile-de-France a fait part de ses craintes quant à une "remise en cause de la liberté pédagogique", affirmant que "le cahier des charges du marché public relatif à cette plateforme permet à la région et à son prestataire Pearltrees d'en contrôler les contenus en s'octroyant le pouvoir de retirer un contenu".
Patrice Lamothe, PDG de Pearltrees, soutient à l'inverse que les manuels disponibles sur sa plateforme "ne sont pas seulement granulaires mais peuvent être réorganisés en parcours, à l'infini" selon les souhaits pédagogiques des enseignants.
Joint par l'AFP, il dit "comprendre les craintes des éditeurs dont l'industrie est en mutation" et face aux pressions générées par le passage au numérique pour "baisser leurs prix".
Caroline Maitrot, fondatrice de Nomad Education, une autre plateforme de cours en ligne, pointe aussi une tentative des éditeurs de livres scolaires de maintenir une "position dominante" au lieu de s'adapter aux usages numériques des élèves.
Sophie Venetitay épingle des contradictions entre une volonté de réduire le temps d'écran des élèves mise en avant par l'Education nationale, et le déploiement d'outils dématérialisés.
Le ministère de l'Education n'a pas répondu à la question de savoir si ces manuels numériques libres étaient promus également dans d'autres régions.
Les élèves, eux, sont partagés. Lila, en première, dit à l'AFP préfèrer les manuels papier aux versions numériques, mais les juge un peu vieillots et se tourne fréquemment vers des professeurs youtubers.
Un élève qui entre en terminale à Vincennes étudie de son côté dans un lycée passé aux manuels numériques, mais ne les a jamais utilisés l'an dernier: trop compliqués à trouver.
Sybille, en terminale à Paris, trouve pour sa part que les livres numériques allègent les sacs ... et qu'on ne risque pas de les oublier.
R.Verbruggen--JdB